Texte de la conférence prononcée par Denis Lévy
au Studio des Ursulines le 5 février 1995.1.NATURALISME Il n’est pas dans la nature du cinéma d’être un art. Comme chacun sait, le cinéma est de nature technique. Il est la technique qui permet de créer, à ce jour, la plus efficace illusion de réalité qui se soit jamais donnée en spectacle : le monde s’y présente avec toutes les apparences du naturel. C’est pourquoi doit être qualifiée de tentative naturaliste toute tentative de faire œuvre qui voudrait restreindre le cinéma à l’effet technique d’illusion de naturel. Le naturalisme consiste à se reposer sur la capacité technique du cinéma à restituer mimétiquement la réalité .
Le naturalisme est donc, en quelque sorte, la volonté de réduire le cinéma à son objet, c’est-à-dire à ce qu’il rapporte, à des effets de reportage, au constat interminable de l’état des choses, - à l’effet-Lumière, pourrait-on dire, s’il n’était finalement abusif de s’en prendre aux inventeurs de la machine cinématographique, eux qui n’avaient nulle prétention à faire œuvre, et qui somme toute, en dépêchant leurs opérateurs au loin pour en rapporter des “vues”, n’ont fait, tout au plus, qu’inventer la télé-vision. Mais on aurait raison de désigner sous ce nom un naturalisme originel du cinéma, - ce naturalisme primitif qu’on célèbre ces temps-ci, dans la stupéfaction de découvrir que le cinéma était déjà ce qu’il est devenu aujourd’hui. On voudrait bien, sans doute, démontrer par là que tel serait en effet le destin du cinéma : revenir à son origine, à la pureté technique du cinéma. Origine dont on pourrait d’ailleurs soutenir qu’elle n’a en vérité été qu’incomplètement naturaliste, parce que muette : le naturalisme ne s’accomplit entièrement qu’avec l’apparition du son, qui permettra enfin de reproduire “la vie telle qu’elle est” [1].
Mais toute l’histoire de l’art du cinéma est l’histoire des efforts des films pour s’arracher à “la vie telle qu’elle est”, à la nature du cinéma, c’est-à-dire aussi pour conquérir ce qu’Alain Badiou appelle, à la suite d’André Bazin, son impureté.
La constitution du système réaliste est l’une des étapes de cet arrachement.
Encore faut-il distinguer entre réalisme et naturalisme.
2.REALISME Le naturalisme n’est pas un système.
La nature technique du cinéma ne se prête à la systématisation que sous condition de l’art, c’est-à-dire sous condition d’être utilisable par une pensée. Or la technique, aussi maîtrisée soit-elle, ne produit par elle-même aucune idée
Le réalisme peut être vu comme une tentative de concilier le naturalisme originel du cinéma avec la nécessité de produire des idées. Il a fallu construire un système de principes formels qui fonctionne pour l’art du cinéma comme, pourrait-on dire très métaphoriquement, le langage pour la pensée conceptuelle.
On appellera réalisme un tel système, quand il s’établit sur une tension entre la transparence des opérations formelles et la schématisation de l’objet.
La transparence est la concession faite au naturel : globalement, la forme, les artifices, la fiction, ne doivent pas porter préjudice à l’illusion de réalité, même si le monde qu’on nous présente (la diégèse) est au plus loin de la réalité. La force du réalisme est de rendre crédible des univers sans référent réel, de faire que l’incroyant croie le temps d’un film ; c’est pourquoi le comble du système réaliste est le cinéma fantastique. Les chefs-d’œuvre du cinéma réaliste sont aussi les films qui tendent les possibilités du système dans le plus grand écart avec le naturel. Aussi, les effets de fiction y apparaissent avec le recul, libérés des habitudes de l’époque, avec beaucoup plus de relief : ce qui fait rire le public naïf (ie le public naturaliste), qui voit là une distorsion exagérée de la réalité, alors qu’il y a là en fait tout autre chose que la réalité. Ce qui fait rire, en somme, c’est l’artifice, la fiction, - l’art. Reconnaissons au naturalisme l’unique mérite d’avoir, par son absence d’art, débarrassé notre regard de la transparence réaliste pour mieux faire apparaître, par contraste, l’art au-delà du réalisme.
J’appelle schématisation de l’objet le fait que tout ce qui est montré : situations, personnages, actions et faits, tout cela est stylisé de façon à pouvoir supporter une idée. La diégèse devient un monde qui semble signifier de lui-même. Dans le réalisme, le monde parle, il apparaît comme l’incarnation de l’Idée. C’est ce que Bazin nommait “l’épiphanie de la réalité” : l’Idée brille à travers les choses, si on les épure un peu. Pour la saisir, il suffit d’entrer dans ce monde épuré.
L’entrée propre au système réaliste, c’est l’identification. Et je soutiendrai que l’identification primaire n’est pas identification à l’auteur, encore moins à l’appareil, mais au monde fictif, à la diégèse. L’identification secondaire, aux personnages, est une notion un peu vague, dans laquelle il convient de distinguer entre les sentiments qui sont suscités pour les personnages, et l’émulation provoquée par la mise en valeur de certains actes exemplaires.
Hollywood a perfectionné le système réaliste, mais sans doute davantage du côté de la schématisation de l’objet que de la transparence : l’Idée y a toujours été tenue pour principale. Le nom de ce perfectionnement, c’est la typification. Elle consiste à créer des types pour les principaux objets du film : types de personnages, à quoi vient se surajouter le star-system, qui typifie les acteurs eux-mêmes (ce qui simplifie l’identification en la déportant des personnages sur les acteurs) ; types de situations et de tonalités, qui règlent le système des genres, définissant à leur tour différents types de films. C’est aussi à Hollywood qu’est portée à sa plénitude l’impureté du cinéma, c’est-à-dire son accession à l’art, dans son rapport aux autres arts, dans la modalité particulière au réalisme, qui privilégie le roman, auquel il emprunte le personnage, l’épopée, à laquelle il emprunte le récit héroïque, et la peinture figurative romantique, à laquelle il prend l’image (renouant aussi ainsi avec l’esprit d’imagerie apporté au cinéma par Méliès et prolongé par l’expressionnisme allemand).
3.ROMANTISME Le système réaliste, comme on voit, se prête à une esthétique romantique, qui voit dans l’art l’incarnation de la Vérité.
Or, une des choses que nous a apprises la modernité, c’est à nous défaire d’une vision romantique de l’art du cinéma, qui est à vrai dire celle de Bazin, d’Amédée Ayfre et de leurs successeurs, et qui tient l’art du cinéma pour essentiellement réaliste, c’est-à-dire pour un art de l’incarnation. Il y a dans cette thèse une fusion opérée entre l’art et le système, ou entre l’art et l’idéologie artistique, “idéologie dans quoi, toujours, l’art véritable est une trouée” [2]. Le système n’est que la condition de l’art, non son effectuation.
Confondre l’art et le système conduit à chercher l’art dans le perfectionnement du système. La pente ouverte si l’on définit l’art du cinéma comme essentiellement réaliste est alors de définir la modernité comme un progrès dans le réalisme : et si le progrès est conçu du côté de la transparence, au plus de naturel, on est nécessairement amené au naturalisme.
4.CONFIGURATIONS Si au contraire on disjoint l’art et le système, et qu’on voit le réalisme comme un simple système de conditions de l’art, ou comme la structure d’une situation, on pourra alors saisir plus librement ce qu’Alain Badiou appelle les configurations [3] artistiques, et qu’il définit comme ce qui produit, en trouée du système, les vérités de l’art.
La principale configuration artistique repérable dans les conditions du réalisme est évidemment le cinéma hollywoodien -appellation préférable au nom propre ‘Hollywood’, trop localisé ; j’avancerai en effet cette thèse que le cinéma hollywoodien en tant que configuration artistique ne comprend pas seulement des films américains, mais qu’on peut certainement y rapporter, par exemple, bon nombre de films italiens, indiens ou japonais, et jusqu’à ce qu’on peut sauver du désastreux réalisme socialiste [4] - voire même l’œuvre de Renoir, ou certains films de la Nouvelle Vague française, qui ne constitue assurément pas une configuration ; pas plus que le néo-réalisme, dont le seul nom indique bien qu’il s’agit d’une de ces tentatives de rénovation “progressiste” du système dont je disais qu’il n’y avait là qu’une pente au naturalisme.
La configuration hollywoodienne s’ouvre sur une équivoque : l’événement initiateur de la configuration marque aussi la fondation du système ; il s’agit bien sûr de l’œuvre de Griffith, et principalement Naissance d’une Nation, film qui trace la voie de l’art hollywoodien, déjà en 1914 à la fois dans toute sa splendeur et toute sa gangue idéologique (assez bourbeuse, il faut le reconnaître) - avec ce paradoxe qu’il ouvre le XX° siècle cinématographique avec des idées du XIX°. Mais le système lui-même est hérité du XIX° siècle. Toujours est-il qu’une des difficultés de distinguer entre art et système provient de cette coïncidence d’origine. Mais même si le réalisme est désormais obsolète, l’art de Griffith demeure intact, comme on peut le vérifier à chaque nouvelle vision.
A la suite de Griffith, les œuvres de l’art hollywoodien utiliseront la typification pour opérer une véritable décantation de l’objet, à la limite de l’abstraction. Avec le recul, cette déposition de l’objet laisse apparaître des opérations dont l’invention est infinie, et infiniment stupéfiante.
Faut-il pour autant penser que le cinéma hollywoodien est la seule configuration du système réaliste ? Je ne le crois pas. Il me semble qu’on peut repérer par exemple quelque chose comme un mysticisme nordique qui rassemble certains films de Dreyer, de Bergman et sans doute de Tarkovsky, et dont l’abstraction ne s’apparente nullement à celle de l’art hollywoodien.
On peut encore se demander si le cinéma a connu d’autres systèmes, avec leurs propres configurations. Là-dessus, on avancera succinctement qu’on peut probablement repérer au moins deux systèmes, que le cinéma hollywoodien a rendu obsolètes, en imposant artistiquement le système réaliste : un système “constructiviste”, travaillé par le modèle du langage, et dans lequel s’est dessinée la configuration du “montage soviétique” ; et un système picturaliste, illustré par les films expressionnistes et ceux de “l’avant-garde française” (dont il n’est pas certain qu’ils aient réussi a constituer véritablement une configuration).
5.MODERNITE Pour conclure, reste à nous demander quelles conséquences nous devons tirer de tout ce qui vient d’être dit, à propos de la modernité.
Il faut avant tout préciser que la modernité constitue une rupture avec le système, et non avec une configuration antérieure. Cette rupture s’origine dans l’absence de toute concession au naturalisme : c’est essentiellement une rupture avec Lumière. De ce point de vue, on comparera La sortie des usines Lumière avec la séquence qui s’y réfère dans Trop tôt, trop tard : l’aggravation à l’excès de l’effet-reportage (de l’effet-Lumière) finit par produire la visibilité des opérations : le travail sur le temps et sur la (dé)coupe.
On peut d’autre part constater que les films modernes rompent non seulement avec le système réaliste [5], mais avec tout système. Le retour sur les Soviétiques, par exemple, n’est pas un retour à un système de type constructiviste. (Il suffit pour s’en convaincre de comparer Méditerranée aux films de Dziga Vertov.)
On voit plutôt que chaque film construit son propre système, sa propre structure, d’où il pourra considérer et prendre position sur les configurations. Il est même rare qu’un cinéaste réutilise un type de structure d’un film à l’autre ; quand il le fait, il est au risque de s’enfermer dans un système personnel, et c’est assez mauvais signe : défaillance de l’invention, il se met à “faire du Godard” ou à “faire du Straub”.
Vue sous l’angle de son rapport, non au système, mais à l’art, la modernité représente une tentative de conciliation, hors-système, des configurations antérieures (cinéma hollywoodien, montage soviétique, parfois même expressionnisme) : on remarquera que les films modernes les plus marquants sont des bilans artistiques. Il n’est pas indifférent non plus que la plupart des cinéastes modernes soient explicitement (dans leurs films) des “cinéphiles”.
La modernité, enfin, constitue-t-elle une configuration ? La question demeure en suspens. On pourrait presque la voir comme l’extrême bord saturé du cinéma hollywoodien, situé à l’endroit où le système défaille, et donc dans une plus grande conscience artistique : une sorte de protubérance ultime de la configuration, qui prouverait ainsi l’infini de ses capacités.
Je serais plutôt enclin à y désigner un événement, en capacité d’initier une nouvelle configuration. Encore faudra-t-il nommer cet événement : c’est la question que je laisse ouverte pour la fin de cette mise au point.
(Denis LEVY)
*************Nous publions ici une lettre reçue après la conférence sur le réalisme dont le texte précède, ainsi qu’une réponse, qui rend compte, par la même occasion, des divergences rencontrées à la lecture du “bréviaire” de Fabrice Revault d’Allonnes, Pour le cinéma “moderne” [6].
Lettre ouverte à Denis Lévy Cher Denis,
Le débat entre toi et moi se résume en une opposition très simple.
Tu acceptes l’équation, posée par le classicisme lui-même, selon laquelle classicisme = réalisme. Puisque Griffith et Eisenstein, Ford ou Carné (et autres) ont voulu faire œuvre “réaliste”, puisqu’on a dit ou écrit qu’il y avait là du “réalisme”, tu avalises. Du coup, en toute logique, la modernité sera donc pour toi un non-réalisme.
Je récuse l’équation, posée par le classicisme lui-même, selon laquelle classicisme = réalisme. Je lui discute, dispute ce terme. Pour moi, le classicisme est un non-réalisme : soit un irréalisme flagrant, soit un faux, un pseudo-”réalisme” tout aussi flagrant. Car, toujours, il charge la “réalité” représentée dans le film d’un sens, d’une signification que la vraie réalité ignore : dans le monde réel, les choses ne font pas sens. Je ne veux donc pas lui laisser le terme réalisme ou réaliste, qui, étymologiquement, implique une fidélité à la réalité ou au réel. Or, seule la modernité rend compte de la réalité, avec son absence de sens, ou du réel, avec sa béance de sens.
Voilà tout. Le reste découle de cette opposition première entre nous. Tu t’appuies certes sur toute une tradition du discours esthétique, et tu l’explicites certes soigneusement, mais tu acceptes ce faisant l’acception canonique du “réalisme”, que je refuse et réfute. Je te reproche donc d’avaliser la définition et l’appellation que le classicisme donne de lui-même. Or, la position d’un intellectuel doit être de remettre en cause toute affirmation, d’en faire la critique.
Bien cordialement,
Fabrice REVAULT D’ALLONNES
P.S. : Ta conférence sur “Le réalisme au cinéma” était encadrée par la projection de La Terre de Dovjenko et de La Chinoise de Godard. Tu aurais pu montrer La Belle et la Bête de Cocteau pour le classicisme, et Passe ton bac d’abord de Pialat pour la modernité… mais, du coup, on aurait douté du “réalisme” de celui-là et du “non-réalisme” de celle-ci !
Ton choix de films, cohérent avec ton propos, n’en prêtait pas moins à confusion. Or il ne doit pas tromper.
En effet, La Terre atteste bien d’un faux, d’un pseudo-”réalisme” : par les cadrages, le montage, la musique, la lumière, le jeu d’acteurs, Dovjenko charge le monde imagé d’une signification que le monde réel ignore. Ce en quoi il y a classicisme, et non pas réalisme.
En effet, La Chinoise, à travers ses artifices affichés et ses manipulations déclarées, pose la question du (non-) rapport des images et des discours avec la réalité. Ce en quoi il y a modernité, et non pas irréalisme.
*************
Réponse à Fabrice Revault d’Allonnes
Cher Fabrice,
Ta lettre simplifie la réponse à ton livre que j’avais annoncée. Tu y spécifies en effet parfaitement nos points de désaccord.
1. Loin de moi l’idée que les “classiques” se soient jamais autoproclamés “réalistes”. Je n’ai fait que constater que la théorie de Bazin (pour subsumer sous un seul nom propre cette position critique) désignait le cinéma comme un art d’essence réaliste, en s’étayant aussi bien sur les films “classiques” que sur des œuvres dont la modernité lui paraissait relever d’un supplément de réalisme.
2. Je n’avalise nullement cette théorie de Bazin. J’ai simplement cherché à montrer :
a) qu’il y a une part de vérité dans cette appellation de réalisme : Bazin désigne en effet par là l’existence d’un système, ou d’une idéologie artistique.
b) que Bazin n’entend pas réalisme au sens banal de reflet exact de la réalité, mais dans son sens philosophique. Là-dessus, je le suis : le sens banal, celui qu’il qualifie de “pseudo-réalisme du trompe-l’œil”, je propose de lui réserver le terme de naturalisme. Le sens philosophique doit être entendu au sens où l’on parle du “réalisme” platonicien, puisqu’il s’agit pour Bazin du “besoin d’exprimer la signification à la fois concrète et essentielle du monde”. Il y a bien là l’idée (erronée, je suis bien d’accord avec toi) que le monde aurait par lui-même un sens qui se concrétiserait dans les choses.
3. Là où je ne suis plus Bazin, c’est quand il affirme que telle est l’essence du cinéma. Telle est bien plutôt la fonction du système instauré par une conception réaliste du cinéma, - grosso modo, celle de Griffith. Mais en aucun cas le système ne peut être confondu avec l’effectuation artistique (le réel des œuvres). C’est pourquoi je récuse la confusion opérée par Bazin entre le système et l’art : j’ai qualifié cette confusion de romantique parce qu’elle réduit l’art à n’être que l’incarnation d’une vérité qui lui est extérieure.
4. Faut-il, dans ces conditions, disputer le terme de réalisme à Bazin ? Je n’en suis pas sûr. Le poids historique du mot l’emporte, à mon avis, sur l’étymologie, dont tu marques toi-même l’équivoque : “fidélité à la réalité ou au réel”, ce n’est pas la même chose. La réalité n’est que la représentation qu’on se fait du monde, sans cesse bousculée par le réel. “Fidélité à la réalité” ne peut donc désigner qu’une fidélité à une représentation, à un système. (Et l’”absence de sens de la réalité” ne peut désigner que l’impossibilité de construire un système de pensée sur la supposition que le monde a un sens.)
5. Or je soutiens que la modernité est, précisément, hors système, ou a minima, en dehors du système réaliste. Elle n’a donc pas à rendre compte de la réalité. Je suis d’accord avec toi pour dire qu’elle rend compte du réel. Mais non qu’elle serait la seule à le faire. Tout art touche au réel, qu’il soit ancien ou moderne. Et ce n’est pas tant la façon de toucher au réel qui change avec le temps, que le réel lui-même.
Ou alors faut-il considérer, soit que le cinéma ancien [7] n’était pas un art, -soit qu’il n’était qu’un art imparfait, et qu’il y aurait alors un progrès dans l’art, mesuré à sa capacité à rendre compte du réel ? Je ne peux me résoudre à entériner aucune de ces hypothèses, qui exigeraient de considérer le cinéma en dehors des autres arts, dans une entière soumission à son développement technique, seul domaine à propos duquel il serait loisible de parler de progrès.
6. C’est, en revanche, dans la théorie du cinéma que nous avons besoin, sinon de progresser, du moins d’être de notre temps, c’est-à-dire d’être les contemporains des œuvres qui désignent et pensent un réel encore inaperçu (au prix de s’abstraire de la réalité, ou de l’opinion). Le minimum est de répérer ces œuvres et de les distinguer fermement de tout ce qui constitue l’opinion en s’en tenant au procès-verbal de la réalité (non, L’art du cinéma ne projettera pas Passe ton bac d’abord !). Il ne s’agit là que d’une simple exigence d’art, cruciale à une époque où la pensée en général, et la modernité en particulier, sont tenues pour des phénomènes “marginaux”.
Bien à toi
Denis LEVY
P.S. Il aurait été plus justifié de reprocher à la dernière session de L’art du cinéma de n’avoir illustré le réalisme que soustractivement : nous ne tenons en effet ni La Terre ni La Chinoise pour des films réalistes.
Par ailleurs, le contraire de “réaliste” n’est pas “irréaliste” : tout “irréaliste” que soit La Belle et la Bête, ce n’en est pas moins un film qui relève du système réaliste.
Notes
[1] Nom d’une série de films imaginée par Feuillade
[2] A.Badiou, “Peut-on parler d’un film ?”, L’art du cinéma n° 6.
[3] cf A.Badiou, “Art et philosophie”, in Artistes, philosophes : éducateurs (Ed. du Centre Pompidou).
[4] dont il est avéré qu’il se référait quasi-explicitement au modèle hollywoodien.
[5] A l’exception peut-être de Wenders, dont les premiers films sont des cas-limites de la modernité, et qui, depuis L’ami américain, a intégré la configuration hollywoodienne.
[6] Collection “De parti pris”, éd. Yellow Now.
[7] Je préfère parler, pour éviter toute équivoque, de cinéma ancien plutôt que de cinéma “classique” : c’est après tout l’usage d’opposer ancien à moderne, et classique à romantique…
DoxDoxDox
sábado, 18 de abril de 2009