Boy Meets Girl. Libé meets Carax. Oui, il existe encore de jeunes cinéastes assez fiers pour parler d'eux à la première personne. A Cannes, nous avons beaucoup aimé «Boy meets girl» de Léos Carax.
DANEY SergeUn frêle fantôme hante tout le festival, celui du premier film du jeune cinéaste (peut-être) génial. La «révélation», comme on dit dans la presse, l'«espoir», l'assurance que le cinéma continue, produit ses Rimbaud et ses «poètes de sept ans» contre vents et marées, qu'il repart à zéro, qu'il ne meurt pas. Mais en même temps, parce qu'on a trop vanté de talents qui n'ont pas tenu leurs promesses, parce qu'on a appelé «jeunes cinéastes» des débutants tardifs qui n'étaient plus des adolescents depuis longtemps, parce que les producteurs en mal de relève-chair fraîche ont brûlé trop vite de jeunes talents à coups de budgets trop lourds, cette hantise n'ose plus trop se dire. On se contente de savoir gré aux jeunes cinéastes d'aujourd'hui de porter avec eux la sensibilité des années 80, de «ressembler» à leur époque, alors qu'ils n'y ont, évidemment, aucun mérite. Ils arrivent maintenant, très maniérés, souvent nostalgiques, agressifs par force, ignares et très cinéphiles. Ils savent bien qu'il leur est difficile de faire aussi facilement scandale que leurs aînés et qu'il y a une révolte, quelque part, dont on les a privés. Mais ils arrivent, nécessairement.
Hier, nous avons vu Boy meets girl, premier long métrage de Léos Carax. C'est un vrai premier film et c'est (parions sur lui) un vrai auteur.
Mais comme on l'est à son âge, c'est-à-dire à 23 ans. Le film est évidemment inégal, bancal et troué d'impasses, mais il respire le cinéma et il date de 1984. Les comédiens ont l'âge de leur metteur en scène, le héros, Alex, ressemble à Carax comme à un frère, et ils ne parlent que de ce qui les encercle: le mal de vivre, l'envie d'en avoir déjà fini, d'avoir une oeuvre derrière soi, le goût et le dégoût du monde, la pudeur, les idées noires et un ego à toute épreuve. Par ailleurs, Carax a, chose rare, un don pour la poésie.
Un film comme Boy meets girl ne gagne rien a être raconté. Pas parce qu'il y aurait un mystère à préserver dans l'histoire qui n'est jamais que celle bressonienne d'un jeune garçon, la dernière nuit avant son départ pour le service militaire, entre une fille qui l'a quitté et une autre qu'il rencontre, déjà «entre le chagrin et le néant». C'est que le mystère est dans la sûreté de la mise en scène lorsqu'elle donne ce sentiment intenable de précarité, dans la beauté des soliloques à la voix blanche, sans filet.
Il y a deux copains discutant sur les berges de la Seine, la nuit, et l'un se précipite sur l'autre, il y a des confessions sexuelles, très osées et très douces, en voix off, un flipper ouvert et qui clignote quand même, un enfant qui commence un monologue ravagé dans le métro, un homme muet qui reproche aux jeunes «de ne pas parler», des enfants oubliés qui pleurent dans une pièce un soir de réception, des disques volés par amour, une chambre de bonne éclairée par la lumière d'un frigo ouvert, l'orgueil des peines d'amour perdues et une absence quasi totale d'adultes.
Un jeune auteur (Carax?), c'est quelqu'un qui sait qu'il a déjà vu beaucoup de films, vécu peu de choses (mais difficilement, déjà) et qu'il n'y a pas de temps à perdre pour commencer à les dire. Parce qu'on fait le cinéma avec ce qu'on a. Autobiographie et programme exalté de vie à venir (fulgurante), puis moments d'aphasie où l'hommage au cinéma muet n'est pas une coquetterie cinéphile mais un mauvais moment à passer. Horreur d'errer dans un monde «déjà vu» mais «pas encore vécu». Jeune vieillard qui ne pourra que rajeunir.
Il y a quelque chose d'aujourd'hui dans le regard buté d'Alex et de Mireille, adolescents même pas paumés, tout juste «ajoutés» au monde qui les entoure . Et il y a aussi quelque chose d'hier dans leur façon de vivre leur vie comme un destin, mais au futur antérieur, comme dans un roman du XIXe siècle. A même le mur blafard de sa chambre, Alex a dessiné, grossière, une carte de Paris sur laquelle il porte soigneusement les lieux et les dates de tout ce qui fut pour lui «une première fois». Belle image pour un premier film: naissance, premier baiser, première tentative de meurtre, etc.
Il y a aussi quelque chose d'aujourd'hui dans cette manière de Carax de recommencer le cinéma autobiographique de la nouvelle vague (de Godard à Garrel, mais aussi de Skolimovski à Bertolucci), plus dans le Paris lumineux libéré des studios que nous découvrait Coutard mais dans un Paris nocturne, obscur, contrasté, entre chien et loup, strié de néons et de faux jours, le Paris de tous les cinéastes de sa génération.
Qui est Léos Carax? Un double d'Alex, mais encore? Léos non plus n'est pas grand, il porte des vestes immenses qui le font paraître encore plus jeune, il ne parle pas beaucoup, il a fait un court métrage (Strangulation blues), il ne vit que du cinéma. Il ressemble aussi au Léaud qui volait des photos de stars dans les 400 coups. C'est lui, souvent, qui vient demander à une vendeuse d'une grande librairie de cinéma parisienne si elle n'a pas «des trucs nouveaux» sur Godard. Des affiches ou des photos. Car, le lecteur l'aura compris, Godard est un dieu pour Carax.
DoxDoxDox
sexta-feira, 23 de julho de 2010